La réutilisation des eaux usées épurées se présente aujourd’hui comme une solution alternative pour limiter la pénurie, préserver et valoriser la ressource naturelle et contribuer à la gestion intégrée des ressources en eau du pays. Celle-ci peut être pratiquée pour satisfaire de nombreux usages : agricoles, industriels ou encore environnementaux. Une démarche que l’on estime coûteuse, qui n’est toujours pas vogue en Algérie.
L’urbanisation, les nouveaux modes de production et de consommation génèrent des volumes croissants d’eaux usées, véritable enjeu pour la santé des populations, mais aussi pour l’environnement.
Le rejet en milieu naturel d’eaux non traitées ou mal traitées, génère une pollution catastrophique pour la biodiversité et la qualité des ressources en eau. C’est pourquoi il est nécessaire de traiter les eaux usées, et de favoriser leur réutilisation, afin de préserver la santé publique et la ressource eau. Pour Dakiche Ali, expert en ressources en eau et ex-directeur régional Ouest de l’ANRH. Ministère des Ressources en eau, la croissance démographique, les besoins différenciés mais croissants des pays, les aléas climatiques, les risques naturels majeurs, qu’il s’agisse de sécheresse et pénurie chroniques ou d’inondations dévastatrices, «exacerbent le caractère vital de l’eau qui est devenue un enjeu économique social, culturel mais surtout capital en politique, donc un enjeu des affaires d’Etat sur le plan national, voire international».
De son côté, Samir Grimes, expert international en environnement et changements climatiques, explique que pour un pays comme l’Algérie, classé selon les critères des Nations unies comme étant un pays à stress hydrique, «le développement des ressources en eaux alternatives (non conventionnelles) est une nécessité stratégique qu’il faut encourager, promouvoir et accompagner par des mesures concrètes, notamment à travers un encadrement juridique rigoureux, compte tenu du risque sanitaire qu’ils ne faut pas négliger ainsi qu’à travers des mesures incitatives et un programme de vulgarisation et de sensibilisation». En termes de chiffres concernant le volume réel des eaux usées générés annuellement en Algérie, dans son rapport volontaire sur les Objectifs de développement uurable (ODD) transmis en 2019 aux National unies, l’Algérie produit annuellement 400 millions de mètres cubes d’eaux usées domestiques et industrielles représentant près de 50% du potentiel actuel des eaux non conventionnelles.
Agriculture
L’une des réutilisations les plus communes est l’irrigation de cultures agricoles ou sylvicoles à l’aide d’eaux usées traitées. En effet, cette pratique est largement utilisée dans les pays et régions où l’agriculture rencontre des problèmes quantitatifs ou qualitatifs d’eau. Et l’irrigation à l’aide d’eaux usées traitées est un moyen économique de réduire les rejets dans l’environnement et de bénéficier d’un apport en eau même en cas de sécheresse. Selon Samir Grimes, en Algérie, un dispositif a été mis en place à l’effet d’encadrer cette réutilisation, notamment à travers trois outils importants, à savoir le décret exécutif n°07-149 du 20 mai 2007 fixant les modalités de concession d’utilisation des eaux usées épurées à des fins d’irrigation ainsi que le cahier des charges type y afférent, l’arrêté interministériel fixant les spécifications des eaux usées épurées utilisées à des fins d’irrigation, l’arrêté interministériel fixant la liste des cultures pouvant être irriguées avec des eaux usées épurées et enfin l’arrêté interministériel fixant la liste des laboratoires qualifiée d’analyses de la qualité des eaux usées épurées utilisées à des fins d’irrigation. «Toute cette réglementation est très explicite et devrait permettre d’encadrer de manière efficace la réutilisation des eaux usées traitées à des fin agricoles, pour peu que les autres conditions nécessaires soient réunies, comme les moyens de contrôle et de surveillance et la sensibilisation sur les risques, les dangers et les considérations liés à la santé publique pour une réutilisation dans des secteurs liés à la consommation alimentaire humaine», explique-t-il.
De son côté, Fares Kessasra, maître de conférences à l’université de Jijel et consultant auprès de l’Unesco, confie que l’eau issue de la Réutilisation des eaux usées épurées (REUE) est destinée principalement à l’irrigation des cultures maraîchères, les arbres fruitiers ou encore dans les cultures industrielles. Elle est également utilisée dans l’arrosage des voies publiques et les espaces verts urbains. «Elle assure un approvisionnement en nutriments essentiels à la croissance de la plante, ce qui permet de réduire l’achat de fertilisants et de matières organiques», explique-t-il. Mais celle-ci n’est pas sans risque. Le revers de la médaille est que cette REUE est un vecteur de transmission pathogène par excellence si l’on ne se dotait pas de normes strictes ou si l’on n’actualisait pas les normes en vigueur. «L’eau usée qui ne subit pas de traitement secondaire ou même tertiaire pourrait être un sérieux vecteur de transfert et de transmission de pathogènes et de micropolluants dans les sols, l›eau souterraine et la chaîne alimentaire et puis l’homme», prévient M. Kessasra. Car les eaux usées urbaines sont un cocktail de polluants, micro-polluants de toutes natures. On y trouve des éléments métalliques, des composés organiques, des composés minéraux, des résidus de pesticides, d’antibiotiques, anti-biorésistants et persistants même après un traitement primaire dans certains cas et d’autres nouvelles molécules issues des produits de synthèse qu’on utilise dans les ménages. Par-dessus tout, le risque microbiologique est élevé, c’est le foyer par excellence
des maladies à transmission hydrique. L’objectif principal est d’éliminer les risques sanitaires. C’est pourquoi, pour l’irrigation sans restriction, M. Kessasra préconise que la pollution microbiologique des eaux usées utilisées doit rester au-dessous de 1000 coliformes fécaux (CF)/100 ml, voire l’absence totale de germes-tests comme le recommandent certains pays à réglementation sévère: moins de 2,2 coliformes totaux (CT)/100 ml. Sachant que les normes sont draconiennes aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et en Australie pour les végétaux destinés à la consommation. «En effet, l’absence de virus est considérée comme un nouveau paramètre microbiologique avant toute utilisation de ces eaux», confie l’expert. Dans les régions arides, cette technique a connu des retombées positives. Mais pour Fares Kessarsa, son utilisation ne devrait pas obéir qu’au simple besoin de pallier au manque d’eau : «On devrait l’intégrer dans un schéma global d’économie de l’eau et de santé publique à une échelle plus grande que la ville ou le bassin-versant afin d’évaluer réellement les retombées.» Selon lui, si l’eau est mal traitée, des problèmes d’ordre environnemental et sanitaire apparaîtront automatiquement. «Nous aurions à gagner de l’eau disponible et mobilisable, mais nous aurions affaire à une contamination de la chaîne alimentaire qui atteindra l’organisme de l’homme», conclut-il.
Énergie
Les boues issues du traitement des eaux usées présentent un intérêt agronomique indéniable. Mais celles-ci peuvent également être source d’énergie via la méthanisation, un procédé utilisé depuis des dizaines d’années pour traiter et surtout valoriser les boues d’épuration. «Son intérêt réside dans la réduction du volume des boues, leur homogénéisation et une régularisation de leurs caractéristiques de déshydratation tout en produisant un biogaz valorisable», explique le professeur Namane, docteur en sciences de l’environnement à l’Ecole nationale polytechnique d’El Harrach. Le processus consiste à transformer la matière organique en biogaz composé de méthane et gaz carbonique par des bactéries dans un milieu anaérobie (absence d’oxygène). «Cette dégradation n’est possible qu’en présence de matières fermentescibles : boues de step non stabilisées, boues de vidange fraîches et autres déchets organiques tels que le fumier, les résidus végétaux ou encore les déchets alimentaires», précise M. Namane. Et ce procédé compte de nombreux avantages, notamment «la production d’un biogaz valorisable (chaleur & électricité in situ et plus rare gaz domestique) ; réduction de 30 à 50% en moyenne des quantités de boue à traiter ou encore la création d’emplois locaux en maintenance et exploitation», assure M. Namane. Concernant des inconvénients possibles, le spécialiste en cite quelques-uns : «Stockage de volumes importants de biogaz et gestion du biogaz coûteuse.»
Ciment
les autres formes de réutilisation des eaux usées, on peut retrouver le secteur industriel, en particulier les cimenteries et la sidérurgie, des secteurs consommateurs d’eau et qui ne sont pas aussi exigeants que l’agriculture ou l’aquaculture en termes de qualité microbiologique et physico-chimiques des eaux traitées pour leur réutilisation. D’ailleurs, il y a quelques années des projets de réutilisation des eaux usées traitées par la cimenterie de Zahana, mais également par le complexe d’El Hadjar avaient été envisagés. Pour ce qui est de l’industrie du béton, Karim El Ghazi, architecte, explique qu’il faut au préalable définir ce que c’est les eaux usées : «Il y a ce qu’on appelle les eaux noires et les eaux grises. Les eaux noires sont celles provenant des toilettes et des industries et qui nécessitent des stations d’épuration, car leur composition est complexe. Pour ce qui est des eaux grises, ce sont celles provenant des douches et des eaux pluviales, nécessitant de petits traitements et qui peuvent être utilisées pour le jardinage et le lavage extérieur et pour certaines industries.»
En effet, il faut savoir que dans l’eau, seules les «eaux grises» peuvent, sous certaines conditions, être utilisées pour le gâchage des bétons. Tout en sachant que l’eau de gâchage est un élément essentiel pour la fabrication du béton. Elle est ajoutée lors du mélange afin d’hydrater le ciment et permet de lier les constituants du béton entre eux. L’eau rend également le mélange bien plus maniable, ce qui facilite l’application du béton. Elément indispensable pour obtenir du béton, l’eau utilisée doit absolument être propre et ne doit pas être ajoutée avec excès. Si ces deux conditions ne sont pas respectées, votre béton risque d’être fragile et ses performances seront altérées. A cet effet, Karim El Ghazi explique : «L’eau de gâchage utilisée pour le béton doit assurer certaines normes, essentiellement de sel, potasse, huile ainsi que de nombreux éléments chimiques.» Le spécialiste prévient que si ces normes ne sont pas respectées, il y a risque sur la qualité du béton.
Aquaculture
«L’élevage des poissons dans des bassins fertilisés par les eaux usées domestiques est une pratique courante et très ancienne dans certains pays d’Asie», assure Samir Grimes. Selon lui, des exemples de ce type utilisant les eaux des égouts sont d’ailleurs très expérimentées en Inde, par exemple. «D’autres exemples, qui ont connu un franc succès, peuvent être cités, comme ceux de Calcutta, avec un rendement annuel de plus de 1000 kg/hectare et faisant travailler près de 8 personnes/hectares», ajoute-t-il. En fait, selon l’expert, l’option de l’épuration des eaux usées par l’aquaculture, au-delà de l’échelle «artisanale», a été envisagée et testée depuis plus de 40 ans avec quelques succès. «La relation qui existe entre les eaux usées et l’aquaculture repose sur le principe de la transformation des déchets en ressources», explique-t-il. Cependant, cette pratique n’est pas non plus sans risque sanitaire si les règles de base de contrôle de la qualité microbiologique et chimique des eaux usées, après traitement, n’est pas assurée dans des conditions optimales. Le spécialiste précise que plusieurs expériences dans le monde, notamment en Asie, Chine, Vietnam et Inde, à titre d’exemples, ont été menées avec un certain succès sur l’utilisation intégrée à trois niveaux des eaux usées, qui subissent dans un premier temps un traitement par des plantes d’eau, ensuite par des poissons d’aquaculture dans des bassins (la carpe ou des crevettes) et ces eaux sont ensuite utilisées pour l’irrigation agricole, sans pour autant acquérir des propriétés qui en font une eau potable. Néanmoins, le risque lié aux coliformes fécaux n’est pas totalement à écarter.
En effet, l’’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait formulé en 1973 des orientations pour l’utilisation des eaux usées en agriculture et en aquaculture. En 1989 puis en 2001, une mise à jour de ces orientations a été effectuée par l’OMS pour prendre en charge les risques sanitaires liés aux éléments pathogènes et les éléments chimiques qui peuvent être contenus dans les eaux usées même traitées. «Les pratiques sans risque d’aquaculture alimentée par des rejets s’inspirant des directives de l’OMS protègent au mieux la santé des populations lorsqu’elles s’intègrent à des programmes complets de santé publique incluant d’autres mesures sanitaires», conclut M. Grimes. Le développement de la réutilisation des eaux usées en agriculture ou en aquaculture doit nécessairement s’accompagner d’un plan de communication et de sensibilisation auprès des utilisateurs potentiels et des agents de l’Etat chargés du contrôle, en particulier sur les risques et les dangers pour les producteurs et les consommateurs.
Il est nécessaire de s’assurer que cette réutilisation est conforme à la réglementation en vigueur. Il existe des moyens, des techniques et des technologies qui réduisent les risques sanitaires liés à cette réutilisation et qui optimisent ces ressources non conventionnelles, il est donc nécessaire que l’administration en charge des ressource sen eau, notamment l’Office national de l’assainissement, mais surtout les instituts en charge de la valorisation agricole et aquacole participent à cette entreprise de vulgarisation. Enfin des formes d’incitation, sous certaines conditions strictes pour encourager le développement de la réutilisation des eaux usées bien traitées peuvent également être envisagées afin que la réutilisation puisse constituer une alternative dans les zones et les wilayas du pays à fort stress hydrique.
Savon bio
Du savon bio à base d’eaux usées ? Oui, c’est possible. C’est en tout cas le projet qui a été mis sur pied, en janvier 2014, par des chercheurs canadiens. Le principe est «simple» : plusieurs litres d’eaux usées sont brassés dans une grande cuve. Le mélange est de couleur verte donnée par des micro-algues qui, une fois extraites, serviront à produire des savons biologiques. A cet effet, le professeur Ali Zazoua, professeur en génie de l’environnement à l’université de Jijel, explique : «Les chercheurs canadiens ont utilisé les huiles extraites des microalgues pour en faire un savon». Autrement dit, dans ce processus, les eaux usées sont utilisées pour produire des microalgues en bassin. Les nutriments présents dans ces eaux aident à la prolifération des algues. «Suite à cela, les chercheurs les récoltent et les déshydratent afin d’en extraire l’huile pour en faire un nouveau savon biologique», explique-t-il. Néanmoins, M. Zazoua estime que cette opération (culture, extraction, préparation du savon,…) doit coûter relativement cher. «Mais cela reste tout de même une valorisation non négligeable et très intéressante», ajoute-t-il.
El Watan