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Zahira Souidi. Enseignante chercheur à l’université de Mascara La zone humide de la Macta subit d’énormes pressions qui menacent la biodiversité

Dans cet entretien exclusif accordé à El Watan, la professeure Zahira souligne l’importance de la création d’un comité mixte de gestion de la zone humide de la Macta, à Mascara, où toutes les décisions seront prises en concertation avec tous les acteurs locaux.

– Présentez-nous brièvement l’Association Verte pour la préservation et la valorisation des espaces naturels de Mascara.

Notre association a été créée le 21 novembre 2015, c’est une association de wilaya, composée en grande partie d’ universitaires et de forestiers. C’est une association à but non lucratif, qui a pour objectif principal l’éducation environnementale auprès des jeunes, la découverte de la nature à travers des randonnées pédestres, la sensibilisation et vulgarisation auprès des écoliers et universitaires pour la protection de la nature.

– Quand on parle de l’environnement, on évoque la zone humide de la Macta qui est parmi les préoccupations majeures de votre association. Décrivez-nous cet écosystème méconnu et fragile.

En effet, nous nous intéressons de très près à la Macta, car non seulement nous travaillons sur ce site en tant qu’universitaire, mais aussi dans le cadre des activités de notre association pour la valorisation de ce site. Les marais de la Macta sont une zone humide qui se situe dans une dépression triangulaire parallèle au littoral méditerranéen (région ouest algérienne).

Elle couvre dans sa totalité une superficie de 44 500 ha, avec une zone centrale de 23 000 ha où se concentrent le plan d’eau et la biodiversité du site. Elle s’étend sur trois wilayas, Oran, Mascara et Mostaganem.

C’est une zone connue à l’échelle internationale, elle est classée site Ramsar depuis 2001 pour sa richesse floristique et faunistique, c’est un hotpost de la biodiversité dans le bassin méditerrannéen du corridor de la Moulaya, selon l’UICN (Union internationale de la conservation de la nature).

C’est aussi une zone importante pour les oiseaux, nous trouvons plus de 47 espèces d’oiseaux d’eau dont 3 espèces rares, la Sarcelle marbrée, Fuligule milouin et Fuligule nyroca, classés vulnérables sur la liste rouge de l’UICN. C’est une zone importante pour les plantes avec 89 espèces végétales dont une espèce endémique et rare, selon la liste rouge de l’UICN, la Spergularia doumerguei.

– Ces dernières années, nous assistons à une forte dégradation de la zone humide de la Macta qui se manifeste notamment par la régression de la biodiversité, qu’en pensez-vous ?

La zone humide de la Macta subit d’énormes pressions anthropiques qui menacent la biodiversité de ce site remarquable. Aujourd’hui, c’est un écosystème fragilisé par le surpâturage présent de manière permanente sur la zone, alors que c’était une zone de transhumance dans le passé.

D’autres menaces comme la chasse illicite sur les oiseaux migrateurs, alors que ces espèces viennent pour trouver un refuge pour leur reproduction. Et nous constatons aussi une pollution importante des eaux des marais, suite à des rejets industriels pollués, les eaux usées et les décharges illicites.

Le risque d’une eutrophisation irréversible du lac, qui une asphyxie de la zone humide, peut compromettre la survie de la faune et la flore à long terme. La zone humide souffre aussi d’un recul du plan d’eau compte tenu d’une sécheresse prolongée en Algérie et des pompages illicites. C’est une zone humide temporaire, qui est alimentée principalement par les eaux de pluie et 3 oueds intermittents.

  En votre qualité de spécialiste en écologie et environnement, que peut-on faire pour sauver ce qui reste de cet écosystème inestimable  ?

Tout d’abord, il faut une prise de conscience, là c’est le rôle de toutes les associations environnementales de la région de tirer la sonnette d’alarme. Il faut un travail de sensibilisation et de vulgarisation en continu par tous les acteurs locaux. Sachant que les marais de la Macta débordent territorialement sur trois wilayas, il est essentiel de travailler en coordination avec les gestionnaires de terrain et autorités locales territoriales de ces trois wilayas.

Les marais de la Macta n’ont pas jusqu’à maintenant un statut juridique et foncier clair, ils sont suivis par les services des forêts mais les terres sont soient de nature privés soit appartiennent au domaine agricole. Bien que les marais de la Macta soient classés à l’échelle internationale, il n’y a pas d’arrêter qui définit son statut d’aire protégée.

Plusieurs études ont été menées par la direction de l’environnement, mais aucun plan de gestion n’a été réellement mis en place sur le terrain. La direction générale des forêts a déposé, en 2017, un dossier pour le classement de la zone humide comme aire protégée, mais le dossier est toujours en instance.

Le classement de ce site comme aire protégée d’intérêt national est une des conditions urgentes et obligatoire, qui doit se traduire par la création d’une structure administrative de gestion propre, ayant un budget particulier et le pouvoir de prise de décisions. La création d’un comité mixte de gestion de cette zone humide où toutes les décisions seront prises en concertation avec tous les acteurs locaux est indispensable.

– L’Association Verte a-t-elle, dans son agenda, des projets pour contribuer à préserver les valeurs écologiques de la zone humide de la Macta ?

L’association verte de Mascara, soucieuse du devenir de l’environnement, a inscrit dans sa planification stratégique pour la préservation et la valorisation des espaces naturels des projets pour la conservation de la nature et de la biodiversité. En tant qu’association émergente dans le milieu associatif, notre association a surtout œuvrée pour faire découvrir les sites remarquables de notre région.

L’appel à projet PPI-Oscan 2 lancé par l’UICN-Med a été l’occasion pour concrétiser à partir d’un financement dédié au développement durable des espaces naturels de répondre à cet appel qui répond à nos objectifs. Nous avons donc été retenus pour notre projet : «Valorisation des marais de la Macta par l’éco-tourisme local durable».

Notre projet a été lancé en juin 2019, il est en cours de réalisation et sera clôturé durant l’année 2021. Nous avons un peu été ralentis suite par la pandémie sanitaire. L’objectif de notre projet à deux objectifs principaux, d’une part répondre à une demande de plus en plus importante de la population algérienne du tourisme local.

De plus en plus, les personnes habitant dans des appartements et travaillant beaucoup, sont sédentaires et donc ont un besoin de marcher, de sortir, de se promener, non seulement pour leurs loisirs, mais aussi pour leur santé. D’autre part, c’est la préservation et la conservation de la nature et de la biodiversité des marais de la Macta.

Donc notre projet prend en compte ces deux problématiques et nous avons choisi de concilier et surtout faire le lien entre ces deux aspects, à savoir la valorisation des marais de la Macta par l’éco-tourisme local durable. Donc, intégrer le côté écologique pour comprendre le rôle de cette zone humide et le côté touristique pour valoriser ce site tout en étant respectueux du site.

– Comment concilier entre éco-tourisme et préservation des sites ?

Nous parlons ici d’éco-tourisme, donc de tourisme éco-responsable, respectueux de l’environnement. N’oublions pas que l’objectif de l’éco-tourisme c’est avant tout la découverte d’un lieu naturel, un écosystème protégé, agréable, fragile et remarquable. Il serait donc judicieux d’aboutir à une charte du tourisme durable dans les sites protégés avec tous les acteurs locaux et les gestionnaires de terrain.

Cela demandera une collaboration, une mise en place d’une stratégie, un plan d’action, une vision commune, développer le dialogue et la coresponsabilité. Cette charte aboutira à inscrire les principes que devront partager tous les signataires de la charte.

– Votre projet s’inscrit-il dans la durabilité ?

Le projet s’inscrit dans la stratégie nationale pour la préservation de la biodiversité menée par le ministère de l’Environnement et la Direction générale des forêts, donc c’est une continuité. L’association verte ainsi que les autres associations soucieuses de leur environnement travailleront ensemble pour atteindre les objectifs du projet.

Le projet n’est qu’un commencement pour pouvoir mettre en place un terrain de discussion entre les différents acteurs et aboutir à une prise de conscience de l’intérêt de la préservation de cette zone humide.

Ce projet nous a permis de développer un partenariat très large avec différentes institutions pour une meilleure gestion de la zone humide. Nous espérons que ce partenariat se renforcera dans le moyen et long terme entre les associations environnementales et les décideurs et gestionnaires des sites protégés ou à protéger.

Nous continuerons donc le travail de sensibilisation et de vulgarisation de la zone humide à travers les sorties pédagogiques et éco-touristiques. Nous travaillerons aussi avec d’autres organismes que nous solliciterons pour le partage d’expérience et répliquer les actions que nous avons développées dans d’autres zones humides de l’Algérie.

Bioexpress

Professeure Zahira Souidi, enseignante chercheure à l’Université de Mustapha Stambouli de Mascara. De formation forestière, elle intervient en écologie et en environnement. Elle est aussi la présidente de l’Association Verte pour la préservation et la valorisation des espaces naturelles dans la wilaya de Mascara. Elle est l’une des rares femmes qui continuent de consacrer leur vie à l’environnement et à la protection de la nature.

 

El Watan

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