Les voyagistes qui ont fait le déplacement d’Oran, de Annaba, de Constantine, de Souk Ahras, de Skikda, d’Alger, etc., ont été certes émerveillés et envoûtés par la beauté du site mais aussi frappés par l’état d’insalubrité qui y règne.
C’est sous un soleil radieux que la station de Tikjda, un site emblématique du massif du Djurdjura, a accueilli, samedi 10 octobre, près de 500 agents de voyages venus de 20 wilayas du pays. Ces voyagistes qui représentent environ 250 agences ne viennent pas pour parler affaire. Ni pour discuter de la reprise de leur activité qui est bouleversée par la pandémie de Covid-19. Mais ils sont là pour une autre cause.
Ils ont répondu à l’appel qui a été lancé sur les réseaux sociaux par Sofiane Zane de l’agence Najah Travel de Bouira pour une journée de nettoiement. L’initiative du collectif des agences a été baptisée Djebelinair, et consiste en premier lieu à organiser une opération de dépollution à Tikjda qui demeure l’une des meilleures destinations pour beaucoup d’Algériens amoureux de la nature.
“C’est une initiative que j’ai lancée moi-même sur les réseaux sociaux. J’ai demandé aux voyagistes s’ils sont intéressés par une action de volontariat à Tikjda. Quelques minutes après, beaucoup d’agences ont adhéré à l’idée. De son côté, le parc national du Djurdjura (PND) a donné son accord pour nous accompagner dans notre action”, a déclaré Zane Sofiane. Les voyagistes qui ont fait le déplacement d’Oran, de Annaba, de Constantine, e Souk Ahras, de Skikda, d’Alger, etc., ont été certes émerveillés et envoûtés par la beauté du site mais aussi frappés par l’état d’insalubrité qui y règne. Tikjda l’enchanteresse est aussi Tikjda l’impropre. La délaissée.
Cette action se veut aussi un rendez-vous entre les professionnels du tourisme pour donner l’exemple. Une rencontre pour jeter les bases d’un tourisme responsable et respectueux de la nature et de l’environnement.
“Le but de cette action est d’abord nettoyer le site. En même temps, nous menons une action de sensibilisation d’abord à l’encontre des agences elles-mêmes, car ce sont elles qui font venir des visiteurs à Tikjda. C’est l’occasion pour ces agences de voir ce que ces visiteurs laissent derrière eux comme déchets”, ajoute M. Zane, tout en soulignant qu’un projet de charte entre les parcs nationaux naturels et culturels et les agences de voyages est en gestation.
Une charte pour l’écotourisme
Cette charte portera sur le comportement des visiteurs et touristes dans les espaces protégés. L’idée de la charte a été bien accueillie par les responsables du PND. Ahmed Toumi, chef de l’antenne du PND à Tikjda, n’exclut pas d’ailleurs une possibilité d’inviter les parcs naturels et culturels et les agences du tourisme à une rencontre afin d’élaborer cette charte qui sera la feuille de route pour développer l’écotourisme. Il est aussi question de bannir le tourisme sauvage dans le PND, insiste M. Toumi. De son côté, Dahmouche Ahmed, directeur du parc national du Djurdjura, estime que cette initiative va permettre de “tisser des liens avec les agences de voyages avec qui on partage le même espace”.
“Nous sommes obligés de travailler ensemble. Nous allons essayer d’avoir une approche globale et créer un climat de confiance et de concertation. Asseoir une approche et une stratégie avec l’ensemble des acteurs qui interviennent dans ces espaces. Une charte pour promouvoir le tourisme de montagne et inciter les responsables au niveau central à se pencher sur beaucoup de problèmes et identifier les activités tolérées à l’intérieur de ces aires protégées”, a déclaré M. Dahmouche.
Pour les voyagistes volontaires qui se sont déployés depuis la matinée de samedi à Tighzert, la quantité des ordures qu’ils ont collectée est considérable. Ils n’en reviennent toujours pas. La saleté des lieux a vite estompé l’émerveillement des visiteurs. “J’étais choquée de voir l’entrée de la station qui est très sale. La situation empire davantage. On doit vraiment travailler sur la sensibilisation des citoyens et des touristes”, confie Lydia de l’agence de voyages Kherdja d’Alger, qui était mobilisée depuis le matin à collecter les déchets avec d’autres agents de voyages de différentes régions du pays.
Cette jeune voyagiste croit que cette initiative peut changer l’image des agences de voyages. “On a une mauvaise idée des agences de voyages qui sont intéressées uniquement par le gain. Aujourd’hui, nous sommes ici pour prouver le contraire de ce que tout le monde peut penser”, dit-elle. Ramzi Chernine, agent de voyage venu de Skikda, s’est dit surpris de ce qu’il a pu constater en arrivant à Tikjda.
Degré zéro de la salubrité
“Je n’ai pas imaginé un instant trouver ce site touristique dans cet état de saleté”, dit-il. Pour le chef de l’agence Bled Voyages d’Alger, Fouad Lahouamed, le principal but de cette action est de promouvoir cette destination. “Nous avons beaucoup de destinations touristiques en Algérie qui sont négligées par les autorités et la population. C’est surtout un premier pas pour aller vers la promotion des destinations locales”, a-t-il souligné. Ce voyagiste s’est beaucoup demandé pourquoi à Tikjda il n’y a aucun bac à ordures. “Je n’ai pas encore vu un bac à ordures au niveau de ce site. Quand un visiteur veut se débarrasser de ses déchets, il ne trouvera pas un endroit pour cela. C’est normal que les visiteurs jettent les ordures partout. On aimerait bien que les autorités locales mettent à la disposition du parc des bacs à ordures pour que les visiteurs laissent les lieux propres après leur départ”, poursuit Lahouamed Fouad. D’autres voyagistes n’en reviennent pas.
Sidi Mansour Yazid, de l’agence ClicnGo, pense que Tikjda est connue, non pas uniquement pour sa beauté, mais aussi pour sa saleté. “Le site est très sale. La preuve, c’est que dans un périmètre d’environ 500 m² nous avons pu collecter un camion de sacs-poubelles bien rempli. Une journée ne suffit pas. Il faut sensibiliser les populations. Ce qu’on fait aujourd’hui est une partie de la solution. Je suis un agent de voyages qui incite les gens à visiter le pays et je milite pour la destination locale, mais au fond de moi, je ne peux pas venir ici dans ces conditions”, se désole ce jeune voyagiste qui fait partie des centaines d’autres qui ont découvert ce samedi une réalité qui ne date pas d’hier. Des quantités énormes d’ordures ont été collectées ce samedi.
D’autres opérations y ont été déjà menées auparavant. Mais les pollueurs sévissent toujours. L’APC d’El-Esnam dont dépend administrativement de la station de Tikjda, et les services de la wilaya ne semblent pas se soucier de l’insalubrité des lieux. Outre l’amoncellement des déchets qui écœurent les visiteurs de ce site touristique naturel, l’anarchie n’a pas tardé à s’y installer. Les responsables locaux peinent à rétablir l’ordre. Des boutiques illicites ont été installées au vu et au su de tout le monde et ce, en dépit des mises en demeure envoyées par les services du parc national.
À cela s’ajoute l’exploitation illicite de deux espaces à Tighzert et au centre de Tikjda par des jeunes qui ne cessent de racketter les visiteurs auxquels ils imposent de s’acquitter des frais de parking. Des visiteurs de Tikjda sont contraints de payer jusqu’à 200 DA à des jeunes qui profitent de l’absence des autorités dans ce site touristique.
Tourisme, une activité sinistrée
Les voyagistes évoquent aussi l’impact dévastateur de la crise sanitaire sur leur activité. “La corporation est orpheline et sinistrée, mais elle a pu faire cette action qui est la première du genre dans le pays. Ce ne sera pas la dernière”, affirme Grama Saber, un voyagiste de l’est du pays. La crise sanitaire du coronavirus a mis à genoux les professionnels du tourisme. Des centaines d’agences ont déjà mis la clé sous le paillasson depuis mars dernier. La crise sanitaire a même contraint des voyagistes à mettre leurs agences en vente sur des plateformes de vente en ligne.
D’autres ont déjà changé d’activité. Le mal est profond. “Il faut déclarer l’activité du tourisme activité sinistrée. Depuis le mois de mars on est fermé. On voit des collègues mettre la clé sous le paillasson, et personne ne s’en soucie. Nous avons des charges salariales, la Cnas et la Casnos, et on vient nous proposer un montant de 30 000 DA par mois. Cette somme ne couvre même pas le loyer”, dit ce voyagiste qui estime que leur syndicat est le grand absent et qu’il n’y a personne qui défend les professionnels du tourisme depuis le début de la crise de Covid-19.
Un autre voyagiste n’a pas hésité à décocher une flèche à l’encontre de l’actuel ministre du Tourisme. “Il est le ministre de l’Artisanat”, lance-t-il. Une chose est certaine, promettent les voyagistes, l’opération de Tikjda se répètera à Béjaïa en novembre et à Constantine en décembre. Ce sera peut-être le début du chemin qui va mener vers la revalorisation de nos belles régions méconnues jusqu’ici par beaucoup d’Algériens.