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Contribution: Processus et implications politiques, économiques et sociales des engagements climatiques de l’Algérie

L’Algérie, un pays vulnérable face aux changements climatiques

Les coûts des dommages infligés à l’environnement en Algérie représentent le 1/5 du PIB et selon un scénario tendanciel où nous serions plus de 50 millions en 2030 et 70 millions en 2050, les effets de la désertification feront glisser les étages bioclimatiques hyperarides et arides avec des implications sur les Hauts-Plateaux, l’Atlas tellien à travers des effets cumulés sur les ressources agro-pastorales, sachant que la surface agricole utile représente moins de 5 % du territoire national. Cette situation est très préoccupante qu’on on sait que plus de 40 millions d’hectares de terre sont déjà menacés par l’érosion ou la désertification. La sur-urbanisation et l’artificialisation excessive des sols dans la zone côtière pourraient être aggravées par la submersion marine et l’élévation du niveau de la mer.

Ce scénario est envisagé dans un contexte économique complexe lié, notamment à une dépendance chronique des recettes des hydrocarbures couplée à une forte vulnérabilité climatique. Cette double vulnérabilité impose à l’Algérie une anticipation sur les effets adverses des changements climatiques ; pour certains déjà perceptibles et vécus et pour d’autres, attendus.

La croissance démographique rapide et la répartition inégale de la population et des activités sur le territoire national constituent, par ailleurs, un facteur aggravant de la vulnérabilité climatique de l’Algérie et risquent d’alourdir davantage la facture de l’adaptation, voire de compromettre les efforts d’adaptation engagés par le pays et si les mesures s’avèrent inefficaces, ce sont tout simplement les objectifs du développement du pays qui seront compromis, car il faudra s’attendre, dans un tel scénario, à un transfert des dépenses publiques vers la lutte contre les inondations, la désertification, la réhabilitation des infrastructures endommagés et la gestion des crises sanitaires liées au climat.

La COP 21 et l’accord de Paris, un tournant dans l’action climatique globale ?

La Conférence de Paris sur le Climat (COP21) aurait dû être le carrefour qui dessinerait les contours des transitions énergétiques dans le monde. L’accord de Paris est un élan politique de la communauté internationale visant à sauver la planète du risque climatique et comme tout engagement politique, celui de Paris doit donc démontrer les avantages à agir pour le climat et à maintenir le leadership et le soutien aux actions et mesures nécessaires. Comme tout acte politique, la déclinaison au niveau national de cet accord doit permettre de maintenir une mobilisation autour de ces objectifs lorsque ses avantages ont été clairement démontrés. Cette équation, qui parait simple, est très complexe en réalité, compte tenu des variables qui sont liées, soit aux conjonctures politique et financière et aux contre-coups des questions géopolitiques et géostratégiques liées aux mutations que subit l’environnement géographique de l’Algérie, en particulier le sahel, la Méditerranée et le monde arabe.

20 ans d’efforts de la communauté internationale et une facture lourde de l’action climatique

L’Accord de Paris, qui est entré en vigueur en 2016, a couronné les efforts de 20 ans de discussions et négociations des parties à la Convention des Nations unies sur les changements climatiques devait agir comme une plateforme mondiale pour l’action climatique. Cette entrée en vigueur a été suivie par la publication du rapport du GIEC qui décline les actions et mesures nécessaires en vue d’atteindre l’objectif 1,5 ºC. L’Accord climatique s’appuie dans sa phase initiale sur les Contributions Déterminées au niveau National dites «CPDN» qui devaient enclencher une dynamique ambitieuse et inclusive quant à notre réaction collective au niveau mondial face au défi climatique.
Pour l’Algérie, comme pour nombre de pays, la mise en œuvre des CDN signifie ajustement de son modèle énergétique et à long terme sa transformation avec des coûts difficiles à assumer par les pays en développement, alors que leurs bénéficies profitent aussi aux économies des pays les plus industrialisés, historiquement responsables des émissions de GES. Cette équation pose les termes de l’équité face au climat ou de la «justice climatique».

Un engagement initialement ambitieux et un contexte qui évolue rapidement

L’Algérie avait ambitionné dans sa CPDN de réduire ses émissions de GES de 7-22 %, avec une part allant jusqu’à 7% de réduction qui devait se faire sur fonds propres, donc prise en charge par le budget de l’État et une contribution des entreprises activant sur le territoire national. Même si cette partie de l’engagement n’a pas été évaluée financièrement, nul doute qu’elle représente pour l’Algérie qui a des besoins conséquents en termes d’éducation, de santé publique, de logement, d’emploi et d’infrastructures, une facture importante, mais c’était le «gage» de bonne foi d’un pays dont les émissions sont très limitées et dont le modèle énergétique est vertueux, puisque basé essentiellement sur le gaz qui est l’une des énergies actuelles les plus propres. Au-delà de 7 % et jusqu’à 22 %, les réductions ont été conditionnées par un soutien extérieur multiformes (financement, transferts de technologies, renforcement de capacités, soutien aux politiques publiques).

Par ailleurs, de nombreux «évènements» se sont succédé durant cette phase qui correspond au premier cycle des CDN (2015-2020), notamment une crise pétrolière aiguë, la diminution accélérée des réserves de changes, l’amorce d’une transformation politique, un voisinage immédiat en ébullition, un poids croissant de la migration subsaharienne, une reconfiguration des puissances et l’arrivée d’acteurs nouveaux dans la région. L’Algérie nourrissant l’ambition légitime d’une puissance régionale doit dédier une partie de ses ressources financières à cette ambition et la reconfiguration du paysage interne et externe de l’Algérie constitue un levier structurant pour une triple transition : économique, énergétique et environnementale.

Ce qui aurait dû être fait

Les engagement pris par l’Algérie en 2015 devaient s’appuyer sur plusieurs leviers, force est de constater que ces leviers ont eu un niveau de mise en œuvre et d’efficacité relatifs. Des questions légitimes se posent : Est-ce que les entités et les arrangements institutionnels dédiés au climat ont été en mesure d’anticiper la «dégradation» du contexte de la résilience climatique ? Avons-nous développé des capacités sur le bilan des GES et la vulnérabilité climatique ? Avons-nous développé un lobbying international, aussi bien dans les instances climatiques et environnementales que dans le secteur industriels ? Quelles sont nos capacités à drainer des financements climatiques, des technologies adaptées et des partenariats opérationnels ?

A-t-on pris le leadership sur ces questions au niveau national ? Le cadre juridique a-t-il été adapté de manière effective et efficace ? Qu’en est-il du Système national de Mesurabilité, de Reporting et de Vérification (MRV 2016-2020) prévu par la CPDN en 2015 ? Des questions qui devraient intéresser les parties responsables de ces processus. Devrions-nous tirer les enseignements nécessaires, car les imbrications et implications politiques, économiques et sociales des engagements climatiques de l’Algérie ne devraient pas être négligées, ni pris à la légère.

Pour l’Algérie qui «jouera» son avenir économique et énergétique durant les cinq prochaines années, il est crucial qu’une lecture avisée et stratégique de l’action climatique de l’Algérie soit opérée sous différents angles, compte tenu des effets attendus de notre engagement sur la sécurité alimentaire et la sécurité énergétique de l’Algérie dans un marché devenant instable et n’obéissant pas aux drivers «traditionnels», sur la sécurité sanitaire ainsi que sur la résilience des infrastructures dans les zones vulnérables.

Outre ces éléments, d’autres mesures liées à l’action climatique étaient attendues pour suivre les flux financiers, mobiliser le secteur privé, développer une réserve de projets, compiler un plan d’investissement climat, évaluer les options de financement, identifier les besoins de financement, quantifier les coûts globaux et établir les arrangements institutionnels. Les effets de la pandémie liée à la Covid-19 devraient donner matière à réfléchir sur les effets «surprises» sur les politiques publics, y compris sur les capacités de financement de l’adaptation climatique de l’Algérie.

Les défis de l’action climatique de l’Algérie

L’Algérie doit trouver les articulations nécessaires pour conduire avec succès ses différentes transitions. Le premier défi a trait à la conscientisation des acteurs avec l’obligation de démontrer les avantages et les bénéfices de l’action climatique, en particulier à la sphère économiques et aux entreprises. Le deuxième défi est relatif à la capacité des porteurs institutionnels à intégrer les changements climatiques dans les processus de planification et de développement de manière concrète et pas seulement dans les textes législatifs ou à travers la mise en place d’institutions et d’arrangements institutionnels dédiés.

Cela dépendra aussi de la capacité à rendre ces dispositifs opérationnels avec des effets directs sur les entreprises, l’emploi et les marchés. L’autre défi est lié à nos capacités à traduire dans les programmes de développement local et dans les instruments de planification de l’espace, les objectifs et actions de résilience climatique du territoire. En finalité, les objectif de diminution des GES doivent être cohérents avec la politique intégrée de la ville, la mobilisation et la rationalisation des ressources en eau et une agriculture durable, le mix énergétique, les process industriels, etc. Ce serait vital pour l’avenir de l’Algérie et la durabilité de ses ressources.

Par Samir Grimes

Expert international en environnement et changements climatiques

El Watan

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