Karim Zaghib qui avait démarré sa carrière de chercheur par un DESS en électrochimie obtenu en 1986 à l’Université de Sétif, vient de recevoir le Prix Lionel Boulet, la plus haute distinction attribuée par le gouvernement du Québec à une personne qui a mené une carrière remarquable en recherche dans le domaine industriel.
Avant d’arriver au Canada, vous avez fait des études et de la recherche en France et au Japon…
Karim Zaghib. Oui, après l’obtention de mon DESS en électrochimie à l’Université de Sétif, je suis parti en France en 1986 faire, entre autres, un doctorat à l’Institut polytechnique de Grenoble. Et c’est dans le cadre d’un programme d’échange entre cet institut et des universités japonaises, que j’ai été embauché comme chercheur.
C’est là que j’ai commencé à travailler avec les géants des batteries et de stockage énergétique (Sony, Panasonic, Sanyo, Matsushita…) Je vous rapelle que Sony était la première compagnie au monde qui avait introduit la batterie au lithium et c’est grâce à Sony qu’on trouve de nos jours ces batteries dans les ordinateurs portables et les smartphones. Puis Hydro-Québec (l’équivalent de la Sonelgaz au Québec, NDLR) est venue me recruter du Japon. La compagnie était intéressée à ramener au Québec la technologie lithiumienne (réputée offrir une grande capacité de stockage et une bonne sécurité, NDLR). Et je suis avec eux depuis 25 ans.
Vous en êtes à plus de 500 brevets. Quel est le secret de ce bilan ?
J’ai environ 550 brevets. Ceci grâce à une balance entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. J’aime beaucoup publier (environ 400 publications). C’est rare qu’il y ait un chercheur qui balance, car généralement on est orienté soit vers le fondamental et les publications soit vers les brevets. Mais vous savez, la vie c’est comme une balance. Je remercie l’Algérie, la France et le Japon pour ma formation, d’une part, et de m’avoir inculqué la créativité, la discipline, la ténacité, la persévérance et aussi les résultats basés sur le concret livrable. Concernant ma créativité, elle est née en Algérie.
Car dans les années 1968/69, on avait peu de moyens. Enfants, on fabriquait nos petits jouets avec des fils de fer et du bois. La France c’était la rigueur et la théorie et le Japon tout ce qui est relié à la discipline et l’incorporation de l’idée du laboratoire vers le marché. Et le Québec c’est cette liberté d’inventer et de réfléchir. Le Québec m’a permis aussi de créer quelque chose dont je rêvais depuis des décennies. Il s’agissait de créer à partir du même matériau d’une batterie pile-bouton d’un montre, une capacité de 2 Mégawatt-Heure qu’on peut stocker dans un conteneur, grâce à Hydro-Québec et à la collaboration internationale.
Parmi ces inventions, est-ce qu’il y a une dont vous êtes fier ?
C’est la batterie Lithium-Ion très sécuritaire qui ne prend pas feu. Je l’ai développée avec mon groupe. Elle peut cycler plus de 15 000 cycles et d’une durée de vie de plus de 25 ans. Elle est commercialisée depuis 8 ans environ. On l’utilise dans des maisons à Hawaï, dans les autobus en Chine et les voitures électriques.
Vous venez d’Algérie, un pays dont l’énergie est presque exclusivement fossile (pétrole, gaz). Pensez-vous que l’Algérie peut entamer un virage vert ?
Je pense qu’il est temps que l’Algérie commence à penser à des alternatives. On a une richesse infinie dans le solaire et beaucoup d’espace, donc on peut créer des parcs solaires. On peut mettre sur pied soit des réseaux pour les grandes villes ou des petits réseaux pour les villages ou les maisons.
Aujourd’hui avec ces technologies (solaires ou éoliennes), les batteries et l’hydrogène, le virage vert est possible. Commençons par implanter le solaire et les batteries qui servent à stocker l’énergie produite pendant le jour pour être utilisée la nuit ou pour d’autres fins. On devra investir dans la formation qu’elle soit fondamentale ou professionnelle et compter sur l’intelligence. A cause du réchauffement climatique, il est important de se libérer des énergies fossiles.
Comment peut-on implémenter tout ceci ?
J’ai désigné un projet de fermes énergétiquement et alimentairement autonomes. Dans ce projet pilote, l’énergie sera produite via le solaire ou l’éolien avec une batterie pour le stockage. L’eau sera pompée pour l’arrosage optimisé, en utilisant l’intelligence artificielle, de produits bio. Cette eau pourra aussi être utilisée à produire de l’oxygène pour les hôpitaux et l’hydrogène qui sera stocké pour être utilisé dans des piles à combustible.
L’électricité produite en surplus peut être vendue au réseau. Pour l’Algérie, on aura besoin de terrains et faciliter l’entrée des électrolyseurs et des voitures électriques. Il faudra cordonner avec Sonelgaz. C’est des choses que nous avons réalisées à Hawaï et à Kuaktak dans le nord du Québec chez les Inuits. Je rêve de faire la même chose en Algérie qui deviendra un modèle pour l’Afrique. On est capable de créer des réseaux autonomes partout à travers l’Afrique.
Pensez-vous qu’on pourra utiliser des voitures électriques en Algérie?
Les voitures électriques deviennent de plus en plus abordables. Je prévois que d’ici cinq ans, leurs prix seront proches de ceux des voitures à essence. Il faut aussi créer un écosystème où l’électricité ne soit pas créée avec de l’énergie fossile. On pourrait commencer par changer les flottes de taxi dans les grandes villes en voitures électriques.
Avez-vous tenté de faire entrer une voiture électrique en Algérie ?
Oui, j’ai essayé. Je voulais que ce soit une belle vitrine technologique, surtout pour les jeunes. Mais avant de l’envoyer en Algérie, je devais m’assurer que je pourrais avoir la possibilité de la charger chez moi. Je n’allais pas la laisser mourir dans le garage. Donc, je suis allé dans une agence de Sonelgaz à Sétif pour voir si on pouvait m’installer une entrée avec un certain ampérage, chose qui est tout à fait possible, je n’ai jamais pu rencontrer son directeur sauf le chargé de la réception qui ne semblait pas savoir comment ca se passe.
Et dire que j’ai rencontré le président Obama à la Maison-Blanche ou le Premier ministre japonais sans aucun problème.
Avez-vous des partenariats avec les pays du Maghreb ?
Le Maroc veut être un gros producteur d’énergie électrique solaire. Donc il s’intéresse au stockage et à la formation de ses ingénieurs. Nous avons même eu une visite ministérielle et nous avons des partenariat avec les universités marocaines. Dans notre centre de recherche, nous avons 23 nationalités dont un Algérien.
Bio express
Contribuer à l’adoption des véhicules électriques partout sur la planète, c’est le défi de taille que Karim Zaghib relève avec inventivité depuis 30 ans. Le déclic s’est fait à l’adolescence, durant un embouteillage, alors qu’ il éprouvait des difficultés respiratoires dues à la pollution. Après des études en Algérie (Sétif), en France et au Japon, il a émigré au Québec pour rejoindre la compagnie publique de production et de distribution d’électricité Hydro-Québec en 1995.
Depuis 2017, il est à la tête du Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie d’Hydro-Québec. Il a participé à plus de 550 brevets, 60 licences, 425 publications et est l’auteur ou le co-auteur de 22 livres.
Il a été nommé trois fois parmi les 3300 scientifiques les plus influents au monde, selon Clarivate Analytics pour les retombées exceptionnelles de ses recherches. Il a reçu plusieurs autres prix et distinctions, dont le titre de Fellow de l’Académie canadienne du génie (2017), le International Battery Association Technology Award (2017), le titre de Fellow de l’Electrochemical Society (2011) et le IBA Research Award (2010).
El Watan