l faut rappeler que le Rapport Spécial du Giec changement climatique et les terres approuvé le 8 août 2019 à Genève par les 196 gouvernements membres du Giec a été élaboré suite à la décision prise par le Giec en 2016 en s’appuyant sur sept propositions thématiques issues d’états membres et d’organisations observatrices, touchant aux terres et aux sols : changement climatique, désertification, dégradation des terres, gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux des gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres.
Ce rapport a donc été préparé en 2 ans par 107 scientifiques qui ont passé en revue plus de 7000 publications scientifiques. Les versions successives des chapitres et du résumé pour décideurs ont bénéficié de plus de 28000 commentaires d’experts et de gouvernements. Noureddine Yassaa, directeur du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), nous livre ici ses conclusions sur le dernier rapport du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
OGB Magazine : Quelle est l’idée centrale du dernier rapport du GIEC ?
Noureddine Yassaa : Les principaux messages de ce rapport sont :
- L’humanité dépend étroitement des terres,
- Les terres sont sous pression croissante,
- Les changements d’usage des terres font partie des solutions,
- Mais le potentiel de solutions dans le secteur des terres est limité.
La croissance démographique, les changements dans la consommation de denrées alimentaires, de nourriture pour les animaux d’élevage, de fibres, de bois et d’énergie entraînent des rythmes d’utilisation croissante des terres et de l’eau douce sans précédent. Les activités humaines affectent plus de 70% des terres. Un quart des terres sont dégradées. La façon de produire la nourriture contribue à la perte d’écosystèmes naturels et au déclin de la biodiversité.
La dégradation des terres réduit leur capacité à stocker du carbone, ce qui aggrave le changement climatique. En retour, le changement climatique aggrave la dégradation des terres de multiples manières. La température moyenne à la surface des continents a déjà augmenté presque deux fois plus que la température moyenne à la surface de la terre (continents et océans). Les zones climatiques se déplacent. De nombreux événements extrêmes sont devenus plus fréquents et/ou plus intenses. Les risques pour les sociétés humaines et les écosystèmes liés à la pénurie d’eau, l’érosion des sols, à la dégradation du pergélisol, aux incendies, augmentent avec le niveau de réchauffement moyen à la surface de notre planète.
Dans un climat plus chaud, la capacité des terres à stocker du carbone peut être réduite. Par ailleurs, la dégradation des terres affecte aussi négativement les rendements agricoles et le carbone stocké dans les sols. A l’échelle planétaire, l’augmentation de la température moyenne et ses conséquences entraînera des baisses de rendements, en particulier dans les tropiques, une baisse de la qualité nutritionnelle de certaines céréales,… et des risques élevés à très élevés de perturbations des chaînes d’approvisionnement en denrées alimentaires. Aujourd’hui, 821 millions de personnes souffrent de la faim. Par ailleurs, l’usage des terres contribue à 23% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre liés aux activités humaines.
La déforestation et la destruction des tourbières contribuent à environ 13% des émissions de CO2 liées aux activités humaines. Dans son ensemble, le système alimentaire (qui comprend également la production, la transformation, le transport, la vente, le stockage, la cuisson et les pertes et déchets ali-mentaires) pèse pour près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre.
Pouvez-vous nous résumer votre participation au GIEC ?
En tant que Vice-Président élu du Groupe de Travail I du GIEC et membre du Bureau du GIEC, je participe à toutes les activités du GIEC durant ce sixième cycle qui s’étend entre 2015 et 2022, soit durant un mandat de sept ans. Les membres du bureau du GIEC ont la charge d’accompagner et de superviser tous les rapports. Force est de constater que ce sixième cycle est particulièrement chargé et très riche en rapports. En plus trois rapports spéciaux (Rapport Spécial sur les tendances du réchauffement de 1.5°C (SR1.5) approuvé en Octobre 2018, Rap-port Spécial Changement Climatique et les Terres (SRCCL) approuvé en Aout 2019 et le Rapport Spécial l’Océan et la Cryosphère dans un Climat qui Change (SROCC) qui sera approuvé en Septembre 2019) et le rapport sur la révision des lignes directrices du GIEC sur les inventaires des gaz à effet de serre adopté en Mai 2019, le GIEC élaborera d’ici 2022 les trois rapports d’évaluation des trois Groupes de Travail (Groupe de Travail I : Connaissances Physiques du Changement Climatique, Groupe de Travail II : les Impacts, la Vulnérabilité et l’Adaptation au Changement Clima-tique, Groupe de Travail III : Atténuation des Changements Climatiques) et le Rapport de Synthèse de l’ensemble des rapports. Le Groupe de Travail I dans lequel je suis Vice-Président participe particulièrement à l’ensemble des rapports. Pour le rapport objet de cet entretien, je faisais partie de l’équipe scientifique (membre de Steering Committee) qui supervisait la rédaction du rapport et auteur du Rapport de Synthèse.
Durant la session d’approbation du rapport, j’ai activement participé en tant que facilitateur dans les groupes de contact et dans les réunions de négociations du texte du rapport.
Il y lieu aussi de souligner que l’Algérie était parmi les premiers pays à avoir demandé au GIEC d’élaborer un Rapport Spécial sur les liens entre le Changement Climatique et la Désertification et que Madame Dalila Nedjraoui, Professeur à l’USTHB, est Auteur Principal dans le troisième chapitre du Rapport (Chapitre 3 : Désertification) et auteur également dans le Rapport de Synthèse, ce qui montre que l’Algérie était très active dans la préparation de ce Rapport. L’Algérie a été citée plusieurs fois dans le rapport comme cas d’exemple dans l’étude de la désertification.
Y’a t-il matière à s’inquiéter du réchauffement climatique et ses conséquences en Algérie et en Afrique du Nord ?
Y’a t-il matière à s’inquiéter du réchauffement climatique et ses conséquences en Algérie et en Afrique du Nord ? Ce rapport et celui des tendances du réchauffement de 1.5°C montrent clairement que l’Afrique Nord et la Méditerranée (dont l’Algérie) sont parmi les régions du monde les plus vulnérables aux conséquences désastreuses des changements climatiques. Le changement climatique peut exacerber les processus de dégradation des sols dans ces régions, notamment par l’augmentation de l’intensité des précipitations, des inondations, de la fréquence et de la gravité des sécheresses, du stress thermique, des périodes de sécheresse,….
L’Asie et l’Afrique (dont l’Algérie) devraient compter le plus grand nombre de personnes vulnérables à une désertification accrue. A ce titre, le rapport montre qu’aujourd’hui, 500 millions de personnes vivent dans des zones touchées par la désertification. Les personnes vivant dans les zones où les terres subissent dégradation ou désertification sont de plus en plus affectées négativement par le change-ment climatique. La Méditerranée (dont l’Algérie) à l’instar de l’Amérique du Nord, de l’Amérique du Sud, de l’Afrique australe et de l’Asie centrale pourrait être de plus en plus touchée par les feux de forêt.
Des changements dans le climat peuvent amplifier les migrations causées par l’environnement tant à l’intérieur des pays qu’au-delà des frontières, reflétant les multiples moteurs de la mobilité et les mesures d’adaptation disponibles. Des conditions météorologiques et climatiques extrêmes ou des événements à évolution lente peuvent entraîner une augmentation des déplacements, perturber les chaînes alimentaires, menacer les moyens de subsistance (degré de confiance élevé) et contribuer à exacerber les tensions liées aux conflits.
Quelles doivent être les mesures prises de façon urgente dans le monde et en Algérie ?
Certaines des mesures présentées dans ce rapport peuvent être adaptées et appliquées en Algérie. Le rapport révèle que l’amélioration de l’utilisation des terres et du système alimentaire a un rôle important à jouer pour aider à lutter contre le change-ment climatique, tant pour l’adaptation que pour la réduction des rejets de gaz à effet de serre. Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C impliquera d’éliminer du CO2 de l’atmosphère et l’usage des terres a un rôle crucial à jouer pour cela.
Les pratiques agricoles peuvent renforcer le stockage de carbone dans les sols. Cela pourrait aussi signifier d’utiliser la bioénergie, avec ou sans captage et stockage de carbone et de favoriser l’expansion des forêts. 25 à 30% de la nourriture produite est perdue ou gaspillée. Réduire ces pertes et déchets alimentaires pour réduire la pression sur les terres, améliorer la sécurité alimentaire et réduire les rejets de gaz à effet de serre. Ceci s’applique en particulier dans les pays en développement dont l’Algérie où la perte des produits agricole et de la nourriture est importante. Les pays développés sont plutôt concernés par le gaspillage des produits. Le rapport montre également qu’une alimentation plus équilibrée peut aussi aider à réduire la pression sur les terres, les émissions de gaz à effet de serre et renforcer la résilience des systèmes alimentaires. Certains régimes alimentaires ont une empreinte plus élevée que d’autres pour l’utilisation des terres, de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre. Les régimes alimentaires équilibrés, riches en céréales complètes, en noix, en légumes et en fruits de saison, ont une empreinte carbone plus légère que ceux qui sont riches en viande et sont bénéfiques pour la santé. Evidemment, les choix alimentaires sont influencés par les pratiques de productions locales et ont une dimension culturelle propre à chaque endroit. Il y a des choses que nous pouvons faire pour lutter contre la dégradation des terres, pour prévenir des changements climatiques plus importants et pour nous adapter au changement climatique. Les mesures à court terme visant à promouvoir une gestion durable des terres contribueront à réduire la perte de biodiversité, notamment en restaurant les écosystèmes naturels et leur capacité de stockage de carbone à long terme.
Les connaissances des acteurs de terrain, locaux, et des peuples autochtones peuvent contribuer à surmonter les défis combinés du changement climatique, de la perte de biodiversité, de la sécurité alimentaire, de la désertification et de la dégradation des terres. Les facteurs qui influencent les décisions relatives à l’utilisation des terres proviennent de pressions régionales mais aussi internationales. La coopération régionale est donc vitale. Le commerce des denrées alimentaires peut être un moyen important pour atténuer les risques locaux en matière de sécurité alimentaire liés aux effets du changement climatique. Certaines régions, pays et communautés ont des capacités limitées pour faire face aux effets négatifs du changement climatique. Une combinaison optimale de politiques peut faire toute la différence. La réduction des émissions de gaz à effet de serre de tous les secteurs est indispensable pour contenir le réchauffement en-dessous de 2°C.
Il y a des limites à la surface qui peut être utilisée pour des cultures de biomasse pour l’énergie et pour le boisement. Une gestion prudente de la bioénergie (production de biomasse pour l’énergie) permettra également d’éviter des risques pour la sécurité alimentaire, la biodiversité, et la dégradation des terres. Par ailleurs, de nombreuses activités de lutte contre la désertification peuvent contribuer à l’adaptation au change-ment climatique avec des cobénéfices d’atténuation, ainsi qu’à arrêter la perte de biodiversité avec des retombées positives pour le développement durable pour la société. Éviter, limiter et inverser la désertification permettrait d’améliorer la fertilité des sols, d’ac-croître le stockage du carbone dans les sols et la biomasse, tout en favorisant la productivité agricole et la sécurité alimentaire. Il est préférable de prévenir la désertification plutôt que de tenter de restaurer les terres dégradées, en raison des risques résiduels et des résultats inadaptés que la restauration peut produire.
Les solutions qui favorisent l’adaptation et l’atténuation du changement climatique tout en contribuant à la lutte contre la désertification sont spécifiques à chaque site et région considérés et comprennent entre autres : la collecte de l’eau et la micro-irrigation, la restauration des terres dégradées au moyen de plantes écologiquement appropriées et résistantes à la sécheresse, l’agroforesterie et d’autres pratiques agroécologiques ou adaptations écosystémiques. La réduction des tempêtes de poussière et de sable et des mouvements des dunes de sable peut atténuer les effets négatifs de l’érosion éolienne et avoir des impacts positifs sur la qualité de l’air et sur la santé. Selon les ressources en eau et les conditions du sol, les programmes de boisement, de plantation d’arbres et de restauration d’écosystèmes, qui visent la création de « murs verts » coupe vent et de « barrages verts » utilisant des essences indigènes ou non résistantes au climat et ayant de faibles besoins en eau, peuvent réduire les tempêtes de sable, empêcher l’érosion éolienne et contribuer aux puits de carbone, tout en améliorant le microclimat, la nutrition des sols et la rétention d’eau.
Les mesures de lutte contre la désertification peuvent favoriser la séquestration du carbone dans le sol. La restauration de la végétation naturelle et la plantation d’arbres sur des terres dégradées enrichissent, à long terme, le carbone du sol et du sous-sol. Les taux modélisés de séquestration du carbone après l’adoption de pratiques agricoles de conservation des sols dans les zones arides dépendent des conditions locales. Si le carbone du sol est relâche, il peut s’écouler une longue période avant que les stocks de carbone ne se reconstituent. L’élimination de la pauvreté et la garantie de la sécurité alimentaire peuvent bénéficier de l’application de mesures visant à promouvoir la neutralité en matière de dégradation des terres (en évitant, réduisant ou inversant la dégradation des terres) dans les prairies, les terres cultivées et les forêts. Ces mesures contribuent en effet à combattre la désertification, à s’adapter au changement climatique et à en atténuer les effets, dans le cadre du développement durable. Il s’agit notamment d’éviter la déforestation et de mener des pratiques locales adaptées, en particulier dans la gestion des pâturages et des incendies de forêt.
A l’heure actuelle, on manque de connaissances sur les limites de l’adaptation et les risques d’une mauvaise adaptation aux effets combinés du changement climatique et de la désertification. En l’absence d’options d’adaptation nouvelles ou améliorées, les probabilités de risques résiduels et de résultats inadaptés sont élevées. Même lorsqu’il existe des solutions, les contraintes sociales, économiques et institutionnelles peuvent faire obstacle à leur mise en œuvre. Certaines options d’adaptation peuvent devenir inadaptées en raison de leur impact sur l’environnement, comme l’irrigation qui provoque la salinisation des sols ou le pompage excessif qui entraîne l’épuisement des eaux souterraines. Les formes extrêmes de désertification peuvent entraîner la perte totale de productivité des terres, limiter les options d’adaptation ou leur potentiel. Le développement, la facilitation et la promotion de l’accès à des sources d’énergie et à des technologies plus propres peuvent contribuer à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique et à la lutte contre la désertification et la dégradation des forêts en réduisant l’utilisation de la biomasse traditionnelle comme source d’énergie et en augmentant la diversité de l’approvisionnement énergétique. L’efficacité des infrastructures d’énergie éolienne et solaire est reconnue ; cette efficacité peut être affectée dans certaines régions par les tempêtes de poussière et de sable.
Enfin, la lutte contre la désertification, la dégradation des sols et la sécurité alimentaire de manière intégrée, coordonnée et cohérente peut contribuer à un développement résilient au climat et apporter de nombreuses retombées positives potentielles.
L’accent a été mis sur le risque alimentaire et la surexploitation des terres, sommes-nous dans ce cas de figure ?
La végétation et les sols absorbent environ un tiers des émissions de CO2 provenant de la combustion des énergies fossiles et de l’industrie. Une gestion durable des terres peut améliorer la quantité d’émissions que les sols et la végétation absorbent et limiter les impacts du changement pluie, gestion des prairies, systèmes agricoles de précision etc. Pour la gestion durable des forêts, elle intègre le maintien de leur biodiversité. La diversité des systèmes agricoles réduit les risques économiques et environnementaux liés à la dégradation des terres. Il existe des moyens de prévenir les vulnérabilités qui découlent des impacts négatifs du changement climatique sur les sols et sur l’alimentation. Un monde dont le développement socio-économique met l’accent sur la soutenabilité permet mieux d’agir vis-à-vis du changement climatique. Cela correspond, selon le rapport, à des trajectoires de maîtrise de la croissance Il existe de multiples pratiques, tech-niques et technologiques qui ont fait leurs preuves et peuvent être utilisées à plus grande échelle. Le système alimentaire a le potentiel d’être résilient dans un climat qui change et d’éviter des risques supplémentaires en se diversifiant. Il existe de nombreux moyens de mieux gérer les terres et de réduire les risques pour les écosystèmes et pour les populations. Le changement climatique crée des pressions supplémentaires sur les terres, exacerbe les risques existants pour les moyens d’existence, les écosystèmes et la biodiversité.