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Chems Eddine Chitour. Ministre de la Transition énergétique et des énergies renouvelables : «D’ici juin, nous aurons une vision du nouveau modèle énergétique»

– Pour commencer, où en est-on en Algérie dans le développement des énergies renouvelables ? Qu’a-t-on réellement fait pendant toutes ces années ?

En fait, les énergies renouvelables, tout le monde en parle. Ceci a commencé dans les années 80’ avec la création d’un Commissariat aux énergies nouvelles (CEN). Ensuite, un Haut-commissariat à la recherche (HCR) qui donnera par la suite plusieurs Centres de recherche, dont le Centre de développement des énergies renouvelables (CDER).

C’était, il y a 30 ans. Mais chaque fois que le prix du baril augmente, on oublie les énergies renouvelables. Après la mort de Boumediène et sous la présidence de Chadli à partir de 1979, le slogan était «Pour une vie meilleure». Autrement dit, ce fut une «dé-boumédiénisation».

L’arsenal industriel patiemment accumulé en 13 ans fut détricoté. Les dizaines d’entreprises connurent une déstructuration funeste. Ce fut le cas de la SNMC, la Snic, Sonitex, Sonic, et tant d’autres au nom de l’infitah qui nous a fait perdre le savoir-faire au profit de l’économie de bazar. Ce qui reste du tissu industriel actuel date de l’ère de Boumediène.

C’est heureusement la capacité de raffinage, les complexes d’engrais, le GNL. La pétrochimie fut abandonnée avec le temps. Pour rappel, de 1965 à 1978, l’Algérie a engrangé 22 milliards de dollars de recettes. Au cours actuel, c’est 60 milliards de dollars. Mais regardez, ce qu’on a fait avec 22 milliards de dollars ! Une centaine d’entreprises.

Le potentiel scientifique était très faible, mais il y avait la compétence et surtout la foi en l’Algérie. Personnellement, je venais de sortir de l’IAP et j’étais à Cherchell. Le 24 février 1971, Boumediène annonce à la face du monde que l’Algérie avait décidé de prendre en main son destin pétrolier. Ce fut le fameux «Kararna taemime el mahroukate».

15 jours après, toute la promotion de Cherchell fut envoyée dans les multiples chantiers : le raffinage, l’exploration, le Barrage vert, les 1000 villages agricoles, l’encadrement dans l’université. On touchait 350 DA par mois et on travaillait pour le développement sans compter notre peine.

On avait la foi et le feu sacré et on a fini par mettre en place une industrie du raffinage, et des engrais, du fer et de l’acier, de l’industrie, des tracteurs et matériels agricoles. D’ailleurs, la capacité actuelle de raffinage date de Boumediène. On fabriquait aussi le polyéthylène et le PVC.

Que reste-t-il de tout cela, mis à part les 23 millions de tonnes de raffinage ? Quand on fait la liquéfaction du gaz naturel pour l’exporter, on récupère l’éthane converti en éthylène, puis en polyéthylène et PVC. Tout ceci a été progressivement abandonné, nous sommes devenus des consommateurs de produits conçus ailleurs.

Nous importons du plastique en granulé que l’on fait fondre pour le transformer, alors qu’on savait le produire, voilà la régression ! La devise de Boumediène, c’était de semer du pétrole pour récolter l’industrie. On avait l’ambition de dépasser l’Espagne en 1980. A partir de 1980, l’Infitah a commencé à cette époque.

Après la période 80-90 nous avons subi le contre-choc pétrolier, il y eut ensuite la décennie noire, avec en prime l’ajustement structurel imposé par le FMI ; nous n’avions pas d’argent pour subvenir à nos besoins. Lors de la double décennie 1999-2019 de la gabegie où avec 1200 milliards de dollars, nous n’avons pas construit quelque chose de pérenne. Nous avons raté notre entrée dans le XXIe siècle avec la double décennie du mépris et de la hogra.

Où en sommes-nous ? S’il est naturel de revendiquer des droits humains, l’alternance au pouvoir, la séparation des pouvoirs, nous sommes tous concernés et en l’occurrence chacun a apporté sa pierre à la nécessité d’un changement quand la révolution tranquille du 22 Février 2019 a démarré.

Mais il faut savoir que le monde n’a que faire de nos états d’âme. Nous devons nous réveiller, trouver en nous-mêmes les voies et moyens de faire redémarrer et faire revivre ce feu sacré hérité, car le plus mauvais héritage est qu’à force de vouloir la paix sociale, nous avons fait de l’Algérien un assisté.

Cette situation cache le fait que les talents de jeunes ne sont pas mis en évidence et tout est fait pour l’empêcher de donner leur pleine mesure. Nous devons trouver les voies et les moyens pour mobiliser. Pour cela, il faut être clean, il faut donner l’exemple.

– Justement, que comptez-vous faire pour donner l’exemple concernant les énergies renouvelables ?

C’est un ministère qui a été créé ex nihilo. Pas d’unité de lieu, il m’a fallu un mois pour hériter d’une douzaine de bureaux. Pas de collaborateurs, pas de moyens. Pendant six mois, nous travaillions sans moyens minimas. Le décret de création et l’organigramme ont paru le 1er décembre 2020.

Je dispose d’une équipe d’une douzaine de personnes venant d’horizons différents. Ils sont encore pris en charge par les différents ministères qui ont mis à ma disposition ces compétences déterminées à faire réussir la transition énergétique. Ils sont convaincus que nous n’avons pas le choix.

Il faut donc reconstruire ce pays en sortant de l’addiction malsaine aux énergies fossiles et à l’illusion que le pétrole nous sauvera. Il ne nous sauvera pas ! Plus vite on dépendra moins des hydrocarbures, plus vite l’Algérie sera un pays développé qui créera de la richesse à partir de son savoir.

– Quel est votre plan d’action ?

Quand le président de la République a décidé de la mise en place d’un ministère dédié à la transition énergétique, il a compris que le moment était venu de changer de fusil d’épaule. Tout doit être fait pour aller vers cette transition en mobilisant autour du ministère toutes les ressources.

Je me suis donc attelé à demander le rattachement des entités qui fonctionnaient dans le domaine des énergies renouvelables, il en est ainsi des centres dépendant du ministère de l’Enseignement supérieur, mais aussi du Cerete qui a lui aussi vocation à rejoindre le ministère de la Transition énergétique et ceci pour éviter la dispersion des compétences et surtout la cacophonie qui affaiblit notre action, car elle n’apporte strictement rien de constructif mis à part des vœux pieux et des certitudes déplacées.

Il faudra du temps pour convaincre mais je sais que c’est la seule solution pour aller de l’avant Il se trouve comme chacun le sait, la transition énergétique j’en parle depuis un quart de siècle, notamment à travers l’organisation annuelle de la Journée de l’énergie à l’Ecole polytechnique.

Le 16 avril de chaque année – dimension symbolique de Yom el ‘ilm- les élèves ingénieurs proposent des modèles de transition énergétique. En fait, j’ai commencé par faire l’état des lieux de la production et de la consommation d’énergie : l’Algérie c’est plus de 60 millions de tonnes d’équivalent pétrole de consommation.

Nous sommes à peu près 44 millions d’habitants et nous consommons 1500 kWh/habitant/an. 98% de notre énergie sont fossiles. A peine 2% de renouvelables, c’est-à-dire les 380 MW solaires et éolien installés et les 200 MW d’hydro-électricité hérités en 1962. A cette époque, il y avait en fait 450 MW et il n’en reste plus que 200 MW.

Il y avait 15 petits barrages hydroélectriques. Nous examinons d’ailleurs la possibilité de réhabiliter au moins 50 MW pour pouvoir faire en sorte que l’hydro-électricité participe au bilan énergétique. Nous avons construit 80 barrages, aucun n’est hydro-électrique ! Ceci étant dit, quelles sont nos réserves ? A moins de découvertes majeures, les réserves de pétrole sont de 12 milliards de barils environ, soit à peu près un milliard de tonnes.

Nous consommons à peu près 16 millions de tonnes de carburants/an. Et nous importons jusqu’à 2 milliards de dollars par an de carburants (en 2020, nous avons importé autour d’un milliard de dollars du fait du Covid). A ce rythme de consommation débridé, nous en avons pour moins de 20 ans.

Car ce n’est pas demain que nous pourrions vraisemblablement trouver un nouveau Hassi Messaoud. Certes, nous trouvons de petits gisements, les découvertes actuelles nous donneront un sursis non significatif. S’agissant du gaz naturel, la situation est encore plus préoccupante. Nous aurions 2500 milliards de mètres cubes.

Nous consommons et nous exportons l’équivalent de 100 milliards de mètres cubes /an. Notre rythme de consommation de 7% /an est intenable, soit 800 millions de mètres cubes de gaz naturel par semaine ! Donc, 200 millions de dollars brûlés chaque semaine ! Nous aurons un sérieux problème de consommation ou d’exportation.

Il nous sera impossible de faire les deux. Cela veut dire que du fait de notre laisser-faire, nous serons amenés à rationner la consommation d’énergie pour pouvoir importer un minimum vital de bien de consommations. Donc, nous avons cette fenêtre d’opportunités pour changer de fusil d’épaule.

Mais, cela ne veut pas dire que l’Algérie sera sauvée. Nous aurons juste un sursis parce que les réserves du pays sont limitées. Mais aussi en raison de la demande d’amélioration des conditions de vie.

Ceci est le cas dans tous les pays qui avancent, sauf que dans ces pays, le tertiaire au sens large est moins important que l’énergie utilisée pour la création de richesse à partir de l’industrie et de l’agriculture. Si on y ajoute que la consommation d’énergie augmente aussi en raison de la croissance démographique non maîtrisée.

Nous avons des raisons d’être inquiets. La transition énergétique n’est qu’une des variables de l’équation, la maîtrise de la démographie, la maîtrise de la consommation d’énergie, et la relance de l’économie sans les paramètres de la réussite du pays.

– Quelle stratégie devons-nous adopter pour ne pas compromettre le futur ?

Est-ce qu’on peut continuer comme ça sans compromettre l’avenir des générations futures et ne plus avoir de défenses immunitaires minimales, car nous n’avons pas joué la prudence ? Nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Nous devons rapidement évoluer et sortir de l’ébriété énergétique actuelle et aller vers la sobriété énergétique qui nous permettra de consommer moins en consommant mieux et surtout en étant acteurs et non spectateurs de notre destin, car une grande partie de la réussite proviendra de notre aptitude à comprendre qu’il est de la responsabilité de chaque citoyen d’apporter par ses gestes écocitoyens, par son inventivité, à mettre en œuvre l’autoconsommation, à diminuer la pression sur les énergies fossiles.

La feuille de route du ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables adoptée en Conseil de gouvernement repose sur trois axes : le premier concerne la rationalisation de la consommation d’énergie, cela fait appel à l’efficacité énergétique des équipements qui ne doivent pas être énergivores et aux économies d’énergie.

La consommation énergétique repose comme on le sait sur trois domaines : les transports environ 40%, l’habitat et le résidentiel environ 40%. L’agriculture et l’industrie se partagent les 20 % restants.

Ailleurs dans les pays développés, l’industrie et l’agriculture ont des proportions plus importantes. Le plus grand gisement actuel de l’Algérie, ce sont les économies d’énergie. Selon différentes études, ces économies sont évaluées à 10-15%.

Ce qui représente 6 millions de tonnes d’économie sur 60 millions de tonnes, soit l’équivalent de 42 millions de barils ou encore 2 milliards de dollars d’économie au cours actuel. Il faut donc rationaliser la consommation et faire des économies d’énergie. Le «modèle énergétique algérien» est énergivore et ne crée pas de richesses.

– Comment réduire la consommation d’énergie dans le bâtiment ?

Comment opérer ? J’ai pris mon bâton de pèlerin et j’ai rencontré une quinzaine de ministres qui, à des degrés divers, ont un rapport direct avec la consommation ou la production d’énergie et auront graduellement à se conformer à la nécessité d’économiser l’énergie dans les bâtiments administratifs.

J’ai commencé par le ministère de l’Habitat, c’est le plus important. Nous avons convenu de mettre en place de nouveaux cahiers des charges avant toute nouvelle construction où il sera tenu compte de l’aspect économie d’énergie, par le choix des matériaux, le double vitrage, et ceci graduellement dans les permis de construire, il sera indiqué les efforts à faire pour les habitations avant la délivrance du certificat de conformité, un diagnostic énergétique sera élaboré pour évaluer si l’habitation répond aux normes. De jeunes entreprises viendront faire l’évaluation.

Ce qui va créer de l’emploi et de la richesse. Les textes sont en cours d’élaboration et seront graduellement appliqués en donnant le temps aux personnes et organismes concernés de se conformer.

Nous allons mettre en œuvre le chauffe-eau solaire et des réservations seront faites dans les nouvelles constructions. Des prototypes existent, nous sommes en train de l’homologuer avec le CDER.

Nous allons avec le ministère de l’Habitat et celui de l’Industrie mettre en œuvre la possibilité d’entreprises de réalisation du chauffe-eau solaire. Tout cela, ce sont des métiers nouveaux. L’Etat va encourager cette transition vers les énergies vertes en prenant à sa charge une partie du prix de cet équipement.

Nous allons aussi graduellement rénover le vieux bâti, soit 8 millions de logements à rénover selon un plan. Si on arrive à réhabiliter l’équivalent de 50 000 par an, ça peut aller ensuite crescendo d’ici la fin de l’an 2030. Tout cela n’est pas gratuit, parce qu’un logement rénové, ce sont des économies d’énergie.

Un chauffe-eau consomme 400 litres de pétrole par an, un appartement moyen ce sont deux tonnes de pétrole dans l’année, alors qu’en France, ce même appartement consomme 500 kg de pétrole.

Donc, il faut réduire en quelque sorte les déperditions et ça peut se faire, et nous allons le faire. Nous allons d’abord expliquer aux citoyens ce qui est attendu. L’essentiel est de faire admettre que la démarche est irréversible si on veut assurer un viatique aux générations futures.

Dans le même ordre et d’une façon symbolique, j’ai rendu visite au ministre des Affaires religieuses. Nous avons 18 000 mosquées qui consomment beaucoup d’énergie payée par les APC. Nous avons mis en place un plan de travail pour étudier les moyens de réduire cette consommation.

Avec l’Habitat et les Affaires religieuses, nous cherchons à mettre en place un modèle spécifique de mosquée adapté à chaque région et qui soit économe en énergie. Nous avons aussi décidé par exemple de réaliser une mosquée verte à Sidi Abdellah comme modèle. On contrôlera le diagnostic énergétique. C’est ainsi que nous mettrons de l’ordre.

– Quand ces cahiers des charges vont-ils intervenir ?

Si en 2021 on termine l’élaboration des textes, à partir de 2022, les nouvelles normes vont apparaître. On donnera le temps aux entreprises pour se préparer et on va leur faire des séminaires sur ce qui va changer. On va former des gens pour que quand la décision sera prise, tout le monde sera prêt et l’Etat sera gagnant.

Quand on fait l’isolation, même si c’est cher au départ, l’Etat va prendre en charge une partie des charges. Petit à petit, on donnera de nouvelles habitudes de consommation. Et le citoyen participera.

Mais il y a aussi l’autoconsommation… Il est nécessaire d’avoir à l’esprit que le citoyen a une responsabilité dans les économies d’énergie mais aussi dans la possibilité de produire lui-même son énergie si les conditions appropriées sont mises en place.

Il nous faudra voir comment démocratiser la possibilité pour les citoyens de créer leur propre système énergétique en démocratisant les coûts des panneaux solaires, des micro-éoliennes de 1 à 5 kW la micro hydraulique, créer en quelque sorte un marché avec des installateurs.

L’Etat ne peut pas tout faire mais donner les moyens à ce que chacun puisse trouver la possibilité de faire. Nous allons donner la possibilité pour un citoyen producteur de pouvoir raccorder au réseau électrique de Sonelgaz son surplus de production d’énergie. Nous allons mettre en place ce système.

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– Et concernant les transports ?

Dans ce secteur, nous misons sur la conversion. Le parc de l’administration au sens large, soit 100 000 véhicules, doit être converti aux carburants propres. Nous avons fait le listing ministère par ministère pour voir ce qu’il y a lieu de convertir. Nous avons a mis un point focal au niveau de chaque département ministériel.

Nous allons opérer cette transition vers le GPL. Certes, un savoir-faire existe, il faut le stimuler. L’année dernière, 80 000 voitures ont été converties. Nous envisageons de porter ce chiffre à 200 000 en 2021. Ce qui fait, nous allons acheter 200 000 kits et nous sommes gagnants parce qu’il faut aussi poursuivre la conversion pour les véhicules particuliers. L’Etat va prendre en charge 50% du coût des kits.

Le simple possesseur d’un véhicule à essence récupère en moins d’une année l’investissement à 50% pour la conversion au GPL du fait que le GPL (sirghaz) coûte 5 fois moins cher que l’essence. J’ai sollicité le ministère des Finances pour débloquer les kits et les distribuer non seulement au niveau des opérateurs privés (au nombre 600) et Naftal, mais aussi au profit des jeunes. Nous avons l’ambition en effet de lancer 200 micro-entreprises dans ce cadre.

Nous allons former ces jeunes pour qu’ils puissent faire cette conversion. Nous comptons leur assurer les locaux, les accompagner et les orienter. C’est un travail global à faire, à mettre en œuvre et nous sommes sur la bonne voie pour réussir ce challenge.

Un problème important, le parc est à 70% diesel (10 millions de tonnes), il est important trouver le moyen de ne pas consommer beaucoup. Début janvier, nous avons fait quelque chose d’exceptionnel à travers le lancement des kits pour le diesel et nous avons réussi à faire circuler deux bus de l’Etusa.

Ce n’était pas facile de ramener de la Pologne 50 kits avec cette crise sanitaire. Nous les avons importés mais ce sont alors les ingénieurs de l’Etusa qu’il faut remercier qui ont fait la transformation. Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, des bus fonctionnent au diesel fioul.

C’est-à-dire un diesel avec 30 à 35% de GPL. Comme le parc algérien est à 70% diesel, c’est-à-dire qu’on n’importera plus les 30-35% de diesel pour démarrer. Cette année, pour commencer, il a fallu d’abord que le ministère des Mines donne son accord. La nouvelle vision est celle d’une solidarité gouvernementale pour réussir la transition énergétique qui, il faut le redire, est une mission horizontale.

C’est la première fois dans l’histoire que nous le faisons. Nous avons un mois pour surveiller le fonctionnement de ces deux bus avant de généraliser la conversion à d’autres bus.

Nous allons commencer avec l’Etusa et la SNVI. Après, petit à petit, tout le parc lourd des administrations passera au diesel fioul parce qu’il faut savoir qu’un bus consomme 3 à 5 tonnes de diesel contre 1 tonne pour la voiture. A côté du GPL, il faut passer au GNC.

Nous allons remettre en route la station de Rouiba qui va contribuer elle aussi à ne pas consommer des carburants. Il faut juste qu’on démarre et qu’on y croit, parce qu’on n’a pas le choix.

– Qu’en est-il de la coopération entre l’université et l’industrie pour fabriquer les kits localement ?

Ayant occupé la fonction de ministre de l’Enseignement supérieur et étant toujours professeur, je me suis tourné vers l’université. Nous ambitionnons d’intégrer les kits GPL. En septembre, j’ai pris un kit de Naftal et je l’ai envoyé au Centre de développement des technologies avancées (CDTA).

Les experts ont conclu qu’ils peuvent assurer une intégration à hauteur de 60%. La direction générale de la recherche nous a permis d’arriver à un taux d’intégration de plus de 50% du kit et une convention sera signée entre Naftal et le CDTA pour aller plus loin dans l’intégration.

Cela permettra avec l’assistance du ministère de l’Industrie de lancer une production graduelle de ces kits en collaboration éventuelle avec les vendeurs de ces kits dans un premier temps.
Nous pouvons donc le faire en Algérie ou nous allons produire un prototype.

Dans un premier temps, nous allons acheter les kits mais après nous passerons à la production. C’est ce qu’on appelle le Reverse engineering. J’ai pu mobiliser le CDTA. Il faut juste une coordination entre le monde de la recherche et celui de l’industrie.

Il reste l’avenir ! Je suis de ceux qui sont réticents concernant une industrie automobile thermique en Algérie. L’option est de plus en plus abandonnée à travers le monde. Il faut aller vers l’électrique non pas parce que c’est une mode, mais c’est une révolution à ne pas rater.

Imaginez les économies d’énergie qu’on peut en faire. Avec 12 kW, vous pouvez rouler sur 100 km et le KW, nous le payons à 4 DA. Or, pour la même distance, il vous faut 7 litres d’essence soit 300 DA. Entre 300 DA et 50 DA, il y a un bénéfice énorme. Même si l’électricité actuelle est encore fossile, graduellement, elle sera renouvelable.

Pour les bornes électriques, nous en avons importé 5. Nous allons tout faire pour avoir quelques véhicules électriques. J’ai demandé même au Premier ministre de rouler en voiture électrique pour donner l’exemple. Nous allons en importer même s’il faut opter pour un véhicule de moyenne gamme pour montrer la faisabilité.

Le ministère de l’Industrie s’est engagé à faire paraître cette possibilité dans le cahier d’appels d’offres. Nous allons expliquer aux citoyens que nous sommes gagnants et nous allons mettre en place une industrie de la voiture électrique. Nous allons mettre les premières bornes dans les stations Naftal des autoroutes.

– Quels sont les autres chantiers ?

Le deuxième grand volet de la feuille de route est la mise en place du Plan Marshall des centrales solaires et éoliennes. L’Algérie ne peut plus se permettre les maxi centrales.

Cette année, nous ferons tout pour mettre en place 1000 MW et nous allons lancer un appel d’offres d’ici juin.

Pour les 15 000 MW annoncés en mars 2020 avant la mise en place du ministère de la Transition énergétique, nous allons revalider ce programme dans le cadre du nouveau modèle. L’essentiel est qu’on puisse démarrer donc avec les 1000 MW en mettant en place l’élaboration d’un modèle énergétique.

Avec le ministre de l’Intérieur, nous consultons les walis concernant les 1000 MW à implanter dans 9 wilayas prévues cette année. Nous allons valider les terrains à travers les wilayas concernées (les Hauts-Plateaux et deux autres du Sud) et nous allons vers le CDER pour vérifier certains indicateurs, notamment la luminosité. La wilaya est un partenaire essentiel dans la réussite du Plan solaire

– Comment assurer le financement de ces projets ?

C’est un fait, la situation financière est délicate. Cependant, il y a une immense opportunité, le kWh solaire coûte autant que le kWh thermique et notre Sahara est une immense pile électrique. Nous pensons à des mécanismes de financement des centrales avec le gaz naturel non consommé.

Si nous demandons à un investisseur de construire une centrale solaire de 1000 MW qui coûte 800 millions de dollars, la quantité de gaz naturel épargnée est de l’ordre de 200 millions de mètres cubes de gaz. Chaque mètre cube épargné par la mise en place rapide du plan renouvelable que l’on exporte devrait servir à financer ce plan solaire.

Chaque fois je le dis, il nous faut aller vers les partenariats stratégiques. Nous n’avons pas le choix, il faut faire des économies d’énergie, le carburant qu’on ne consommera pas servira à financer le plan solaire. Il faut juste rationnaliser la consommation en gaz naturel. Tout est lié.

Nous avons trois grands problèmes actuellement en Algérie : la démographie, la Covid-19 et les prix du baril qu’on ne maîtrise pas. L’Algérie ne doit pas indexer sa loi de finances sur le prix d’un baril. Nous méritons mieux que ça. Pour cela, il faut se battre. Mais qu’on ne se fasse pas d’illusion.

La transition énergétique c’est un sursis, je le répète. Il faut qu’à un moment ou un autre, l’économique prenne la relève parce qu’actuellement, nous en dépendons.

– Quid du choix des partenaires ?

Si nous optons pour un appel d’offres classique, nous allons perdre une année, alors j’ai reçu l’instruction de recevoir nos grands partenaires. Je reçois prochainement l’ambassadeur de la délégation européenne en Algérie et j’ai déjà eu des discussions avec les ambassadeurs de l’Allemagne et de la Chine.

Ces deux pays ont déjà montré leurs preuves dans les 380 MW installés et qui sont parfaits. Nous allons consulter tous les pays qui acceptent de faire avec nous ce partenariat gagnat-gagnant qui nous permet de réaliser un réel transfert de savoir-faire. 

– Comment se dessine au final le modèle sur lequel vous travaillez ?

A l’Ecole polytechnique, on parlait en décembre 2019 à la 24e Journée de l’énergie d’un modèle à 50%, c’est-à-dire 50% du gaz naturel, on le laissera aux générations futures. Pourquoi pas si on s’y met tous ? C’est un challenge de tout un chacun. D’ici juin, nous aurons une vision de ce modèle, c’est-à-dire comment consommer l’énergie.

Petit à petit, chacun trouvera sa place parce que c’est un dossier qui doit transcender les sensibilités. Car il s’agit de préparer l’avenir en faisant tout pour consommer le moins possible d’énergies fossiles. Le modèle énergétique comprend une partie sur l’état des lieux des ressources diverses fossiles.

A côté du pétrole et du gaz naturel, nous aurons aussi à évaluer les ressources en hydrocarbures non conventionnels qui présentent un potentiel qui pourra être valorisé le moment venu quand la technologie sera respectueuse de l’environnement ; dans l’attente, nous allons faire une veille technologique et former des ingénieurs et techniciens. Nous aurons à évaluer la production et la consommation actuelles.

Nous évaluerons ensuite en tenant compte de l’aspect démographique comment la situation va évoluer à 2030 pour éviter une situation difficile. Naturellement, nous pensons consulter les compétences du pays pour arriver à une stratégie réaliste possible qui ne compromette pas le futur.

Le passage graduel à la conversion GPL au GNC et à la voiture électrique va nous éviter l’importation des carburants, ce sera plutôt l’inverse. Nous deviendrons vendeurs de carburants à tous les pays africains qui n’ont pas de raffineries.

A partir de 2030, les changements climatiques vont «diaboliser» le pétrole par une taxe carbone de plus en plus élevée, il sera de moins en moins possible de valoriser le pétrole autrement qu’en le transformant.

Le grand challenge de Sonatrach, c’est de faire sa mue. C’est de pouvoir aller de la pétrochimie vers les matières plastiques et développer la pétrochimie. Et là, c’est une rupture à marquer.

Transformer le pétrole avant de le vendre. Une tonne de polystyrène c’est 1500 dollars, une tonne de pétrole c’est 300 dollars, donc c’est cinq fois plus. Il sera plus que jamais nécessaire que nos entreprises fassent leur mue pour être en phase avec la réalité du monde.

Cependant, il nous faut rapidement mettre en chantier le dossier de révision des subventions en garantissent aux classes vulnérables un smiG de dignité énergétique. Ceux qui ont les moyens devront payer le juste prix au-delà d’un certain seuil.

Il en est ainsi de la carte carburant où l’Etat garantit à un prix administré une quantité raisonnable d’énergie pour 15 à 20 000 km par an, le reste étant payé au prix réel auquel l’Algérie importe le carburant autour de 1 dollar, soit l’équivalent de 120 DA, soit quatre fois le prix du diesel.

De fait, ce qui intéresse le citoyen qui n’a pas de voiture, c’est la disponibilité de moyens de transport fiables. Nos efforts devant porter sur une politique de transport pour l’immense majorité des Algériens. Il y a 6 millions de voitures pour 44 millions d’Algériens

– Le savoir-faire sera-t-il au rendez-vous justement ?

Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il faut accorder la vitesse initiale. Nous démarrons, et en six mois, objectivement, des choses ont été faites. Des graines ont été semées. Il faut continuer à travailler sur cette lancée et de faire en sorte de poursuivre le travail sur ces projets. Nous allons lancer l’Institut de la transition énergétique à Sidi Abdellah pour former. Pour ne pas perdre de temps, nous allons démarrer la formation en Post-graduation spécialisée (PGS) en septembre 2021. Nous allons préparer l’arrêté avec le ministère de l’Enseignement supérieur. En attendant, cette formation sera hébergée à l’Ecole polytechnique et à l’USTHB. Nous allons former une trentaine de jeunes pendant 18 mois qui deviendront spécialistes.

– Pour conclure…

Il ne faut pas croire que la transition énergétique à elle seule réglera nos problèmes économiques ! C’est un tout autre débat que de mettre en ordre de marche notre tissu industriel.

La transition énergétique nous donnera un sursis d’une dizaine d’années si on met en place parallèlement un modèle énergétique robuste, flexible et surtout qui, sans tarder, commande de freiner par tous les moyens la consommation supplémentaire de gaz naturel.

Tout en allant vers cette transition, il faut protéger les classes vulnérables. Viendra le moment où on va payer parce qu’on utilise les énergies fossiles. Il faut donc changer de fusil d’épaule. Pour cela, il faut sensibiliser. Les citoyens, à commencer par l’éducation.  L’éco-citoyenneté est un combat qui commence à l’école et à la mosquée.

J’ai proposé le baccalauréat du développement durable et le lancement des métiers du développement durable. L’Institut de la transition énergétique et des énergies renouvelables, dont la PGS démarre en septembre prochain, sera pleinement opérationnel en 2023 et aura pour ambition de participer à la formation et à la recherche pour donner un plus à ce que fait l’université, notamment l’Ecole des énergies de Batna que j’avais mise en place il y a sept mois.

L’avantage c’est que nous avons 300 000 diplômés par an, il faut libérer l’initiative et former des ingénieurs. Nous sommes actuellement à peine à 2% d’ingénieurs.

Je le répète, nous n’avons pas le choix d’aller à la transition énergétique. Le consensus social est nécessaire. Il faut donner une chance à ce pays. Il faut un partenariat d’exception. Autrement dit, s’accrocher à des locomotives comme la Chine et l’Allemagne.

Donnons aux jeunes l’espoir et la volonté de réussir. Donnons-leur une utopie. Expliquons-leur modestement les enjeux. Ce sont eux qui seront là en 2030. Laissons-leur une Algérie en ordre de marche. Seul le parler vrai permettra de conquérir leurs cœurs.

El Watan

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