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Dr Fares Kissasra. Maître de conférences, directeur de recherches à la faculté SNV de l’université de Jijel : Les préjudices sur l’environnement peuvent être irréversibles

-Le stockage et la destruction des médicaments périmés posent problème en Algérie. Des quantités non négligeables sont jetées parfois en pleine nature ou dans les décharges sauvages. Ces déchets ne devraient-ils pas être traités selon des normes ? 

Tout comme plusieurs autres produits censés être récupérés et traités, mais se retrouvent dans les divers compartiments que compte l’environnement. Sauf que la particularité des antibiotiques et des résidus médicamenteux et leur détection dans les milieux récepteurs incombe inexorablement au domaine de la santé publique et d’épidémiologie. La présence d’antibiotiques dans l’eau, à titre d’exemple, et à doses permanentes et continue dans le temps, favorise l’apparition de nouvelles souches bactériennes réputées antibiorésistantes et le lien est déjà établi avec l’émergence de nouvelles souches de virus affectant l’animal et l’homme soit par effet de transmission, de contact directe ou par chaîne alimentaire interposée. En Algérie, le flou règne sur le stockage et la destruction des médicaments hors d’usage, on en sait peu et chaque opérateur a sa méthode pour s’en débarrasser. Dans tous les cas de figure, des traces dans les divers écosystèmes en témoigneront.

-Qu’en est-il du préjudice infligé à l’environnement, surtout quand il s’agit d’antibiotiques ?

Le préjudice est irréversible. Mais avant d’évoquer les effets, il est judicieux d’identifier les causes. Les rejets urbains, les rejets industriels et en particulier les rejets issus de l’industrie pharmaceutique et enfin l’élevage intensif, l’agriculture et l’aquaculture en sont les principaux foyers de contamination. L’eau des rivières en aval des villes qui ne sont pas dotées de STEP (Station de traitement et d’épuration des eaux) est assurément contaminée en molécules médicamenteuses et singulièrement du principe actif d’antibiotiques.

Ce médicament est prescrit régulièrement aux patients et devient presque automatique dans l’acte médical clinique. Il faut savoir que le principe actif n’est retenu qu’à hauteur de 20 à 25% par l’organisme, soit 80% du principe actif qui peut être excrétée pour certaines molécules. Vous connaissez dans quel état de délabrement écologique se trouvent nos oueds et lacs, ils sont devenus le dépotoir des rejets urbains (rejets domestiques, rejets hospitaliers et les rejets industriels). De la médecine humaine provient dés lors ces molécules véhiculées dans les rejets d’eau urbaine et de la médecine vétérinaire provient un cocktail de résidus administrés au bétail et contaminant les écosystèmes. L’absence de STEP est problématique de surcroît car lors du passage des eaux usées dans ces dernières, certains antibiotiques sont partiellement éliminés mais d’autres métabolites résistent aux divers traitements.

Les métabolites secondaires s’avéreraient plus toxiques que les métabolites dits ultimes. D’autre part, l’industrie pharmaceutique produit des effluents industriels chargés en résidus médicamenteux, on ne viendra pas me convaincre que les rejets sidérurgiques sont exempts de métaux lourds, idem pour cette industrie. Ces effluents rejoignent les cours principaux des oueds, ces derniers sont drainés par des nappes d’eau souterraine et toute molécule introduite dans l’oued finira bien par s’infiltrer, en partie, dans la nappe et contaminera l’eau souterraine. Cette eau précieuse est généralement destinée à l’approvisionnement en eau potable de la population qui ne se traite pas au préalable.

Certaines de ces molécules pourraient donc exercer des effets sur la santé d’espèces animales et sur la santé humaine. Les effets sur l’environnement se résument en des troubles de croissance, de reproduction, des troubles et des mutations génétiques des espèces vivantes dans les eaux naturelles (poissons, mollusques, oiseaux, …etc.) et une antibiorésistance. Sur le plan de santé humaine, une exposition prolongée même à de très faibles concentrations constituera un risque épidémiologique.

Par ailleurs, à l’instar de Jijel et El Kala, l’aquaculture prend ses quartiers dans les plans d’eau naturels et artificiels. Il n’en demeure pas moins que cette filière est de loin l’une des plus consommatrices d’antibiotiques. L’écosystème marin est aussi menacé et sera le maillon faible de ce cercle infernal de transmission de polluants dans le cycle de l’eau.

-Ne faudrait-il pas encourager l’économie circulaire, notamment avec le traitement de ces déchets spécifiques, pour créer de l’emploi et préserver l’environnement ?

Les solutions alternatives n’en manquent pas et nous n’avons pas besoin de trop y réfléchir. Le manque de volonté politique et le sens des priorités à relégué ces problématiques dites annexes de santé publique aux calanques grecques. A force de répéter que l’environnement se gère en débureaucratisant les actes intelligents et rassembleurs et en démocratisant l’initiative savante, nous devrions avouer que l’échec des politiques environnementales menées depuis deux décennies en Algérie devrait faire pencher les responsables sur une réflexion plus en accord avec la réalité du terrain (forets, mer, littoral, montagnes, rivières, lacs, réserves biologiques, etc.) qu’ avec les ambitions de discours de circonstances.

El Watan

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